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118e RIT
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24 octobre 2006

Lettre du [dimanche] 24 octobre 1915.

[...] Aujourd’hui, dimanche, tout commence à se tasser et je pense avoir le temps de vous écrire un peu longuement. Je viens de recevoir vos deux lettres du 22 au crayon, elles ne manifestent aucune inquiétude à mon égard, d’où je conclus que vous n’avez pas du lire les communiqués du 20 et du 21, ce dont je suis bien heureux ; j’espère d’autre part qu’un télégramme que j’ai lancé le 21 soir a dû vous toucher le 22 à votre retour de Lyon et vous a tranquillisée sur mon sort si vous étiez inquiète. Vous qui prétendez avoir le don de double vue, je serais curieux de savoir si vous avez été angoissée à mon sujet, le 19 de 7 h. 30 à 10 h. et le 20 de 15 h. 30 à 20 h. ; j’ai été en grand danger dans ces périodes et particulièrement le 20 de 15 h. 30 à 16 h. 30. – Si vous n’avez pas eu de pressentiments à ce moment là, c’est qu’il faut renoncer absolument à vos prétentions de double vue !

Je vous ai dit souvent que j’étais verni, et je crois que grâce au Sacré-Cœur je suis à l’épreuve des dangers de guerre ; on peut dire sans exagération que c’était un enfer ; j’ai eu au moins 1 000 balles à moins de un mètre de ma tête et plus de 100 obus ont éclaté dans un rayon de 50 mètres de moi ; il grêlait de la fonte et du fer, mais le plus proche a été un obus percutant ; un 105 je crois, qui a tapé à un mètre environ de moi, dans une brèche de la tranchée réparée par des sacs à terre ; J’ai reçu sur la tête un sac à terre éventré, et pas un éclat ! Mais tout cela n’est rien comparativement aux gaz chlorés que nous envoyaient les Allemands avec des appareils spéciaux et aux autres gaz (chlorure de benzyle) qu’ils nous administraient par obus, très libéralement. À la première odeur de chlore j’ai mis mon bandeau protecteur en me promettant coûte que coûte de le maintenir même si j’étais suffoqué ; c’est ce qui m’a permis de résister alors que je voyais des hommes manquant d’énergie qui dans les mêmes conditions que moi enlevaient leur masque pour respirer et sont certainement sous six pieds de terre à l’heure actuelle. Je n’avais pas mes lunettes, j’avais du les perdre en tirant mon bandeau de son étui, et mes yeux n’ont pas du tout souffert, ce qui prouve que j’ai été soumis seulement au chlore et non aux gaz lacrymogènes. Tout ce que j’avais sur moi en fer a été fortement oxydé et a pris une teinte marron (chlorure de fer, je pense) ; dans ces moments là il faut une grande énergie, un grand sang-froid ; ceux qui perdent la tête sont f… Le 118e a eu une très belle conduite ; toutes les unités de 1re ligne ont bien tenu, toutes les unités appelées en renfort à la première ligne, s’y sont portées carrément, sans hésitations. Malheureusement ceux qui étaient en position d’attente, dans les abris à l’épreuve des obus, à

4 m

. sous terre, ont été très abîmés, là où leurs gradés n’ont pas eu la présence d’esprit de les faire sortir en plein air où ils étaient exposés aux balles et aux obus, mais beaucoup moins aux gaz, car, les gaz chlorés sont des gaz lourds, qui s’accumulent dans les trous, les tranchées, les boyaux et surtout dans les abris de bombardement très profonds et y séjournent longtemps après le passage du nuage. Pour moi j’ai fait sortir d’un abri presque à coups de canne une vingtaine d’hommes déjà tellement intoxiqués qu’ils ne me comprenaient pas sauf 2 ou 3, et je suis persuadé avoir sauvé la vie à la plupart d’entre eux. Lorsque l’action du

20 a

commencé, j’étais dans les lignes, où ironie des choses, je pilotais une mission scientifique venue pour étudier les gaz émis la veille ; dès que l’attaque a commencé, j’ai dit à ma mission qu’elle n’avait plus rien à faire ici qu’à se retirer (elle ne se l’est pas fait dire 2 fois) et je me suis rendu au poste de commandement du chef de bataillon de la 1re ligne et me suis mis à sa disposition, puis, apprenant que le colonel, pris dans un tir de barrage et à ½ asphyxié n’avait pas pu rejoindre son poste de commandement, je m’y suis rendu de suite, pour le suppléer ; j’y ai trouvé un capitaine d’état-major qui était accidentellement dans les lignes au moment de l’attaque et à nous deux nous avons collaboré à la défense de notre secteur, fait arriver les renforts, ravitaillé en munitions etc. ; votre époux, Madame, s’est dit-on réellement distingué ; il n’y a pas grand mérite, d’abord parce que le S. C. l’a protégé et ensuite parce qu’il est dans sa nature de ne pas perdre la tête. Quoiqu’il en soit, on a estimé qu’il méritait une récompense qui sera sans aucun doute la croix de guerre ; vous saurez cela dans quelques jours. [...]

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